Que dit le droit sur les abeilles ? La dualité sauvage-domestique pèse sur l’approche juridique des abeilles en général et sur le régime applicable aux essaims en particulier.

A ) L’abeille

1 – La distinction des abeilles sauvages et domestiques

L’abeille sauvage n’appartient à personne mais peut devenir la propriété du premier occupant. Dès la prise de possession d’un essaim sauvage et de sa mise en ruche, l’abeille sauvage devient abeille domestique et devient propriété de celui qui s’en occupe. Une fois domestiqué, l’abeille ne peut plus être acquise par la voie d’une occupation qui deviendrai alors un vol pur et simple mais seulement par les divers modes légaux d’accession à la propriété.

Seule l’abeille domestique entraine l’application de règlements de police et, le cas échéant, la mise en oeuvre d’une responsabilité de leur propriétaire.

2 – La distinction des meubles par nature et des immeubles par destination

En application de l’article 528 du Code civil, les abeilles sont en principe des meubles par nature, c’est à dire “des corps qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre, soit qu’ils se meuvent par eux même, comme des animaux, soit qu’ils ne puissent changé de place que par l’effets d’une force étrangère, comme des choses inanimées” (dans notre cas, une ruche par exemple).

Par contre lorsque qu’une ruche à été placée sur un fonds par son propriétaire pour le service et l’exploitation de ce fonds, cette ruche devient immeuble par destination en application de l’article 524 du Code civil. La qualification d’immeuble par destination s’explique par le fait que le bien peut être déplacé ou transporté. Cependant des conditions sont nécessaires pour qu’un bien meuble soit considéré immeuble par destination.
D’abord le meuble et l’immeuble (ici, la ruche et le fonds) doivent appartenir au même propriétaire. Ensuite le bien meuble doit être affecté à l’immeuble et à son exploitation. Il est enfin parfois même requis que le bien meuble soit indispensable à l’exploitation du fonds. Quand ces conditions sont satisfaites les abeilles en ruche doivent alors être considérées comme un accessoire de ce fonds. Cet accessoire, suivra alors la destinée du fonds. Cela peut être important, par exemple en matière de saisie, car les conditions de la saisie diffèrent selon que le bien est meuble ou immeuble (et certains biens sont insaisissables). En cas d’hypothèque portant sur l’immeuble principal (le fonds), celle-ci sera automatiquement étendue aux immeubles par destination (les ruches et les abeilles). Enfin l’aliénation du bien immobilier entraînera également celle de l’immeuble par destination. Par contre, la vente d’un fonds par un propriétaire qui possède quelques ruches sans que celles-ci puissent être regardées comme un revenu d’exploitation apicole n’emporte pas le transfert des ruches et des abeilles.

B) L’essaim

L’essaimage est un processus naturel de renouvellement des colonies d’abeilles qui se produit pendant les récoltes et l’accroissement du couvain. La reine sort alors de la ruche avec une fraction plus ou moins importante des abeilles qui constitue l’essaim, tandis que les abeilles qui demeurent dans celle-ci vont élever une mère nouvelle. L’essaimage est donc un moyen naturel de renouvellement de la ruche avec une nouvelle et jeune reine ce qui assure depuis toujours la survie de l’espèce. Plusieurs essaims peuvent provenir d’une même ruche : le premier, appelé essaim primaire, est conduit par la vieille reine, le second, ou essaim secondaire est généralement moins important et conduit par une jeune reine non encore fécondée.

La question juridique que pose alors ce renouvellement est celle-ci: à qui appartiennent ces essaims ? Les abeilles qui s’enfuient ainsi de leur ruches sont-elles des choses perdues que leur propriétaire est en droit de récupérer, ou bien doit-on les considérer comme res nullius, abandonnées et susceptibles d’être acquises par la première occupation venue?

1. L’essaim et le droit de propriété du propriétaire 

a. Les origines du droit de suite

La question de l’essaimage a toujours eu une grande importance, notamment pendant les périodes anciennes où la récolte de miel se produisait par la méthode de l’étouffage, avant l’invention de la ruche à cadres par Langstroth qui a permis de conserver les abeilles. II convenait donc alors de récupérer le maximum d’essaims pour reconstituer le cheptel du rucher.

Selon la loi du 28 septembre 1791 « Le propriétaire d’un essaim a le droit de le réclamer et de s’en ressaisir, tant qu’il n’a point cessé de le suivre; autrement, l’essaim appartient au propriétaire du terrain sur lequel il s’est fixé » . Ces termes seront repris, d’abord par la loi du 4 avril 1889 (article 9), plus récemment dans l’article L. 211-9 du Code rural et de la pêche maritime. Le propriétaire de la ruche qui a essaimé a donc le droit de s’en ressaisir. II s’agit là du droit de suite qui est opposable aux tiers. Mais, pour être reconnu, devant les tribunaux en cas de litige avec le propriétaire d’un autre fonds sur lequel l’essaim aurait pu se fixer, ce droit doit respecter certaines conditions. D’abord, si la propriété est contesté, le propriétaire doit faire la preuve de son droit de propriété sur l’essaim à l’aide de deux témoins (ni alliés, ni salariés). Ensuite, ce droit de propriété doit être exercé sans discontinuité par le propriétaire de la ruche ou la personne qu’il a mandatée. Si la nuit survient avant la récupération de l’essaim, la poursuite doit reprendre dès le lever du jour. D’autre part, certains textes exigent de ne pas perdre de vue l’essaim mais cette exigence locale n’est pas reprise par le droit positif.

b. Les conditions d’exercice du droit de propriété sur les autres fonds

Que devient le droit de propriété si l’essaim pénètre sur une propriété voisine ?
Dans le cas où le terrain sur lequel il se fixe n’est pas clos, le suiveur peut y pénétrer sans autorisation à condition de ne pas l’endommager, sauf dans ce cas à réparer ces dommages. Par contre, en cas de clôture, le poursuiveur ne pourra pénétrer que sur autorisation du propriétaire du terrain clos. En cas de refus le suiveur peut assigner le propriétaire du terrain en référé afin de pouvoir pénétrer dans celui-ci, mais il y a alors fort à parier, compte tenu des délais, que la capture de l’essaim sera bien compromise. Il peut aussi demander à la justice des dommages et intérêts en raison du préjudice subi par la perte du ou des essaims poursuivis, à condition de pouvoir en prouver la propriété et le nombre. Notons toutefois qu’Emile QUERUEL précise que « si l’essaim poursuivi sur un terrain voisin s’est fixé dans une ruche vide il appartient nécessairement au pour-suivant. Par contre, s’il s’est fixé dans une ruche habitée il ne saurait être question pour le poursuivant d’exercer son droit de reprise puisqu’il est impossible de distinguer les abeilles envahissantes de celles de la ruche occupée ».

2. L’appropriation de l’essaim abandonné

Si le propriétaire de l’essaim n’exerce pas son droit de suite ou Cesse sa poursuite, l’essaim est alors abandonné et redevient chose sans maître. A qui peut-il alors revenir ?
L’article L. 211-9 du Code rural et de la pêche maritime nous dit que l’essaim appartient au propriétaire du terrain sur lequel il s’est fixé. Cette disposition est susceptible de plusieurs interprétations. Si l’essaim abandonné s’est simplement posé sur un terrain avec l’intention d’en repartir, le possesseur du terrain n’en devient pas pour autant propriétaire, pas plus qu’il ne le serait des oiseaux venus faire leur nid sur ce fonds. Ce n’est que si l’essaim se fixe, c’est-à-dire entreprend de construire des rayons, par exemple dans un tronc d’arbre ou un mur, que le propriétaire de l’arbre ou du mur en devient le maître. Les dispositions du Code rural renvoient alors à la théorie de l’accession prévue par l’article 551 du Code civil « Tout ce qui s’unit et s’incorpore à la chose appartient au propriétaire ». II s’agit donc là d’une acquisition sans aucune prise de possession particulière de sa part. 

Source : L’abeille et le droit de Jean-Philippe COLSON – Éditions du puit fleuri